Le chêne

« Choisissez le Chêne du Soleil » Ancienne comptine écossaise

De tous les arbres des îles britanniques, on considère que le chêne en est le roi. Connu pour son endurance et sa longévité, il est toujours synonyme aujourd’hui de force et de stabilité dans le langage courant. Dans son livre « Sylva, Or a Discourse of Forest-Trees[1] » John Evelyn l’appelle « fierté et gloire de la forêt », tandis que dans « The Fairy-Faith in Celtic Countries[2] », Evans-Wenze proclame que « le chêne est le principal arbre sacré d’Europe ». Dans le Monde Classique, on le voyait comme l’Arbre de Vie, car ses racines pénètrent aussi profondément dans le Monde d’en Bas que ses branches s’élèvent dans le ciel ; il était consacré à Zeus et Jupiter. En Scandinavie, le chêne était l’arbre du Dieu du Tonnerre, Thor, de même que de son homologue finnois, Jumala.

[1]Sylva, tout sur les arbres des forêts ; non traduit en Français

[2]La croyance en les fées dans les pays celtiques ; non traduit en Français

Spiral triskelion (formed from mathematical Archimedean spirals), occasionally used as a Christian Trinitarian symbol

Origine

Son nom anglais, Oak, provient de l’Anglo-saxon « ac » ; les mots irlandais daur et gallois dar sont probablement apparentés au Grec drus. Certains universitaires pensent que ce mot est aussi à l’origine du terme « Druide », puisque les Druides ont toujours été associés aux bosquets sacrés, en particulier aux chêneraies. De denses forêts de chêne couvraient autrefois la majeure partie de l’Europe du Nord, il n’est donc pas surprenant de constater que cet arbre soit considéré comme le plus sacré par les gens qui vivaient dans les forêts de chêne, utilisaient le bois de chêne pour la construction ou pour se chauffer, et les glands pour l’alimentation des humains comme du bétail[1]. Combiné à la racine indo-européenne wid, qui signifie « savoir », le mot « Druide » peut avoir fait référence à « Ceux qui ont la connaissance du chêne », aux « Sages de la Chêneraie ». Le mot sanskrit duir a donné naissance à la fois au mot qui désigne le chêne (drus en Grec, daur en Gaélique et dar en Gallois) et à celui qui désigne la porte (door en Anglais), ce qui suggère que cet arbre est une ouverture sur une sagesse supérieure, et peut-être même une porte d’entrée vers l’autre monde.

[1]Sir James Frazer, « The Golden Bough » (le Rameau Doré), non traduit en Français

Références littéraires

Nous apprenons d’abord, dans le passage bien connu des écrits de Pline qui vivait en Gaule pendant le premier siècle de l’Ère Commune, que le chêne est sacré pour les Druides. Il écrit que ceux-ci pratiquaient tous leurs rites religieux dans des chêneraies, où ils récoltaient le gui sur les arbres avec une faucille dorée. Strabon décrit aussi trois tribus galates (Celtes vivant en Asie Mineure) qui tenaient leurs conseils dans un lieu appelé « Drunemeton », le « sanctuaire de la chêneraie ». Au deuxième siècle, Maxime de Tyr décrit les Celtes comme révérant Zeus – probablement en référence au dieu gallo-romain du tonnerre, Taranis – sous la forme d’un grand chêne. Nous apprenons ailleurs que les Druides de Gaule mangeaient des glands afin de prédire l’avenir. Un autre écrivain romain les appelait « Dryades » et les définit comme « ceux qui se plaisent sous les chênes[1] ».

[1]Nora K. Chadwick, The Druids, non traduit en Français

Culte Païen

Nous ne pourrons jamais vraiment savoir si les Druides des Îles Britanniques et d’Irlande pratiquaient leur religion dans des chêneraies comme leurs cousins continentaux, mais il semble que oui. Nous savons que les Celtes insulaires célébraient dans des bosquets, ou « nemeton » et des découvertes provenant d’Irlande en particulier tendent à prouver qu’il s’agit bien de chênes. L’Irlande était couverte de chênes dont la présence résonne encore au fil des siècles dans des noms de lieux tels que Derry, Derrylanan, Derrybawn (chêne blanc), Derrykeighan et, bien sûr, Londonderry, autrefois Derry Calgagh, le bois de chêne d’un féroce guerrier du même nom.

De nombreuses églises primitives chrétiennes se situaient dans des chêneraies, probablement parce que c’étaient autrefois des lieux de cultes païens. Le nom de la ville de Kildare, où ste Brigitte a fondé son abbaye, dérive de « Cill-dara », l’Église du Chêne. La légende dit qu’elle adorait et bénissait un grand chêne qu’elle considérait si sacré que personne n’osait ne serait-ce que de lui en abîmer une feuille. C’est sous son ombre qu’elle a construit sa cellule (cela s’inscrit parfaitement dans la tradition pré-chrétienne car la déesse celtique Brigid était la fille du Dieu Soleil Dagda dont le chêne était l’arbre sacré).

De nombreuses personnes pensent que st Columcill, aussi appelé Colomba, avait été un Druide avant d’embrasser la nouvelle foi ; il a lui aussi fondé des églises dans une chêneraie à Derry (Doire), le monastère à Durrow (Dairmag, la « Plaine des Chênes »), et un monastère à Kells où il a vécu sous un chêne. Selon le récit irlandais de la « Vie de st Columcille » un homme qui avait pris un peu d’écorce de cet arbre pour tanner ses chaussures a été puni en conséquence en contractant la lèpre.

Quand il a fondé l’église à Derry, st Columcille a incendié la ville et le fort du roi afin d’éradiquer les œuvres des hommes du monde et de sanctifier le site pour son église. Mais le feu devint incontrôlable et il dut prononcer une invocation pour sauver le bosquet d’arbres. Il aimait tellement ces arbres qu’il construisit son oratoire en l’alignant Nord-Sud au lieu de l’orientation habituelle chrétienne Est-Ouest afin que personne ne soit dérangé. Il ordonna à ses successeurs de ne pas toucher à un arbre qui pourrait tomber, mais de le laisser reposer pendant neuf jours (le nombre sacré celtique) avant de le couper et de distribuer son bois aux pauvres. Quand, plus tard dans sa vie, il vécut à l’abbaye qu’il a fondé sur l’île d’Iona en Écosse, il déclara que même s’il avait peur de la mort et de l’enfer, le son de la hache à Derry l’effrayait encore plus.

La littérature ancienne fournit d’autres preuves de l’importance du chêne pour les Celtes païens. Un grand chêne était l’un des cinq arbres sacrés apportés en Irlande par un étrange être appelé « Trefuilngid Tre-Ochair » qui apparut soudainement à Tara le jour où le Christ fut crucifié ; en tant qu’émissaire de l’Autre Monde, il avait à la main une branche qui portait à la fois des glands, des pommes, des noix et des baies qu’il secoua sur le sol. Ces fruits merveilleux furent plantés dans les cinq différentes parties de l’Irlande et ont donné naissance aux cinq grands arbres qui ont supervisé chaque province jusqu’à ce qu’ils soient abattus par les vents désapprobateurs de l’Église au VIIe siècle. Le Grand Chêne de Mugna, au Sud de la province de Kildare, était l’un d’eux. Ce « bile » ou arbre sacré était célébré ainsi dans le « EdimburghDinnsenchas » :

Mughna’s oak-tree without blemish
Whereon were mast and fruit,
Its top was as broad precisely
As the great plain without… 3

Le chêne sans tache de Mughna
Sur lequel il y avait un mât et des fruits,
Son sommet était aussi large
Que la grande plaine sans…[1]

On disait qu’il portait neuf cents boisseaux de glands trois fois dans l’année, de même que des pommes rouges, ce qui indique clairement sa provenance de l’Autre Monde. Au moment où le dernier gland tombait, la première fleur de l’année apparaissait, nous rappelant le perpétuel cycle de la mort et de la renaissance.

Certain lieux présentent des traces de bosquets pré-chrétiens, même s’ils sont rares. Nous avons entendu parler d’un bosquet de chêne à côté de Loch Siant sur l’île de Skye ; les gens le croyaient autrefois tellement sacré que personne n’aurait osé couper la plus petite brindille des arbres. Le chêne sacré de l’île de Lock Maree est également en Écosse. L’histoire locale raconte qu’elle était autrefois « Eilean-a-Mhor-Righ », l’île du Grand Roi, qui était en fait un dieu païen. En Angleterre, les restes d’anciens chênes ont été découverts près du temple britto-romain de Lydney, temple dédié au dieu Nodons.

[1]The Edimburgh Dinnsenchas de Whitley Stokes, Folklore Collection en 1966

Spiral triskelion (formed from mathematical Archimedean spirals), occasionally used as a Christian Trinitarian symbol

Sacrifice

Un autre personnage ressemblant à un dieu portant l’insigne du chêne est décrit dans la « Fête de Bricrui où trois guerriers célèbres, dont Cuchullain, gardent chacun leur tour la citadelle de Curoi quand ce dernier n’est pas là. Deux d’entre eux échouent puis, pendant le tour de garde de Cuchullain, un gigantesque guerrier attaque la forteresse en jetant de grandes branches de chêne à Cuchullain. Après une bataille acharnée, Cuchullain réussit à le vaincre. Plus tard, il devient évident que l’assaillant n’était autre que Curoi lui-même, dont l’autre nom est Mac Daire – Fils du Chêne. Au cours de l’histoire, il défie aussi Cuchhullain de le décapiter et d’être décapité ensuite à son tour. Il est clair que ce conte est le précurseur du poème médiéval « Sir Gauvain et le Chevalier Vert » ; la décapitation symbolique du Roi Chêne relie ces contes avec le célèbre sacrifice du vieux roi dans la chêneraie de Nemi qui forme la trame de l’œuvre « Le Rameau d’Or » de Frazier.

Le sacrifice à Nemi se déroule au Solstice d’Eté, ce qui nous ramène à la bataille entre le Roi Chêne, personnifiant l’année qui commence, et le Roi Houx qui régit le décours de l’année. Au Solstice d’Été, comme l’année se dirige de nouveau vers la période sombre, le Houx était vainqueur, mais au Solstice d’Hiver, le Roi Chêne vainquait les forces de l’obscurité une fois de plus, se révélant être le Dieu de la Végétation qui doit mourir chaque année pour que la vie puisse se renouveler. Il n’est pas surprenant alors que les représentations de l’Homme Vert gravées dans le bois et la pierre des églises médiévales montrent fréquemment des feuilles de chêne sortant de ses oreilles et de sa bouche.

La connexion du Chêne avec le sacrifice est également présente dans l’histoire galloise de Math, fils de Mathonwy. Le héros Lleu est trahi et tué mais, après sa « mort », il se transforme en aigle et se perche au sommet d’un chêne magique situé dans une plaine (le lieu où poussaient les arbres les plus sacrés) ; là, il subit les « neuf grandes épreuves ». Le destin de Lleu nous rappelle le célèbre sacrifice d’Odin de lui-même à lui-même sur le grand frêne Yggdrasil. Avec cette nouvelle facette du symbolisme du chêne révélée, il est clair que la réputation du chêne qui en fait un arbre de force, d’abondance et d’endurance ne dépend que de sa mort et de sa renaissance annuelles : si nous ne nous alignons pas sur le grand cycle de la Vie et de la Mort, il ne peut y avoir de réel renouveau au printemps.

Pouvoirs de Guérison

Le chêne occupe toujours une place d’honneur dans le paysage britannique depuis sa vénération par les anciens Celtes. John Evelyn racontait qu’un grand chêne était tenu en une telle estime que si un bâtard naissait sous sa grande ombre, ni la mère ni l’enfant n’encourrait la lourde censure habituelle de l’église ou des magistrats.

Les ruraux fréquentaient les chênes pour leurs propriétés curatives ; on considéraient, en certains endroits, que celles-ci étaient si fortes qu’il suffisait de marcher autour de l’arbre pour que la guérison se produise. Il fallait souhaiter en même temps que la maladie s’envole avec le premier oiseau qui décolle de ses branches. En Cornouailles, un clou planté dans un chêne soulageait les maux de dents, alors qu’au Pays de Galles, c’est en frottant la paume de la main contre l’écorce d’un chêne un jour de Solstice d’Été qu’on se garantissait une bonne santé pour l’année. On pensait que les plantes qui poussaient sur son tronc ou ses branches, comme le gui et la fougère polypodes, avaient des vertus particulières. L’herboriste Gerard disait : « ce qui pousse sur le corps des vieux Chênes est préféré à tout le reste : si vous n’en trouvez pas, utilisez ce qui pousse sous les Chênes.[1] »

Comme déjà mentionné, le chêne est régulièrement l’arbre des dieux du tonnerre dans les autres cultures européennes du Nord, tradition qui est également vraie dans les îles britanniques. Aux temps anglo-saxons, Thor était appelé Thunor et les bosquets de chênes lui étaient dédiés dans le Sud et l’Est de l’Angleterre ; le village de Thundersley en Essex en était un. Tout comme le frêne, il a la réputation de « courtiser la foudre » ; la sagesse populaire dit que la foudre frappe le chêne plus souvent que tout autre arbre. Nombre de ces arbres frappés par l’éclair ont survécu et se sont remarquablement bien développés, ce qui leur a valu le nom de « chêne foudre ». Les gens prenaient souvent des branches de ces arbres pour les mettre dans leur maison afin d’invoquer la chance. Dans les cultures chamaniques, une personne qui survivait après avoir été frappé par la foudre devenait souvent chaman car, partout dans le monde, on voit la foudre qui frappe comme une illumination spirituelle soudaine qui déchire l’obscurité avec une force de transformation terrible et irrévocable.

[1]Cité dans « Tje Englishman’s Flora de Geoffrey Grigson en 1960.

Gardien et protecteur

Depuis le Christianisme, les grands chênes ont souvent été appelés « Chênes Sacrés », ce qui a donné lieu à des toponymes tels que les « Saints Chênes » dans le Leicestershire et à Cressage dans le Shropshire, dont les noms d’origine étaient Cristesache, c’est-à-dire le Chêne du Christ. De nombreuses villes anglaises aujourd’hui ont des zones appelées « Gospel Oak » (le Chêne de l’Évangile), ce qui nous ramène au temps où un chêne marquait la limite de la paroisse. À chaque printemps, au moment des Rogations, les paroissiens parcouraient les limites de la paroisse dans une cérémonie appelée « battre le pavé » et s’assemblaient pour entendre une lecture de l’évangile sous l’arbre.

Les chênes ont toujours été considérés comme de grands protecteurs et gardiens des vertueux. Quand le Roi Charles II a fui devant les « Têtes Rondes[1] » à la bataille de Worcester, il se réfugia dans les branches d’un grand chêne ; après sa restauration le 29 Mai 1660 qui était également le jour de son anniversaire, cette date fut célébrée comme « le Jour Royal du Chêne », où ses sujets loyaux portaient des pommes de chêne (galles), des rameaux et des feuilles de chêne à leur boutonnière et à leur casquette et décoraient leurs chevaux avec des guirlandes de chêne. L’immense popularité de ce jour se rapporte clairement à une origine païenne de la coutume, probablement en connexion avec le rite du Jour de Mai qui en de nombreux endroits ont été interdits dans les années du Puritanisme à cause de ses connotations sexuelles. Au début du vingtième siècle, un résident du Herefordshire expliquait : « le 29 Mai était notre réel Jour de Mai à Bromyard. Il y avait des mâts de Mai tout le long de Sheep Street ; ils étaient décorés avec des rameaux de chêne et des fleurs et les gens dansaient autour, tout le monde portait des feuilles de chêne[2]. »

Un chêne était souvent l’arbre gardien d’une famille, comme ce fut le cas pour le célèbre Chêne d’Errol en Ecosse qui était lié avec la chance de la famille Hay. Un descendant du dix-neuvième siècle de la famille décrivait comment « on croyait qu’une brindille de gui coupée par un Hay la veille de la Toussaint avec un nouveau dirk[3] et après avoir fait le tour trois fois de l’arbre dans le sens du soleil et en prononçant un certain sortilège était un charme assuré contre  les glamours[4] et la sorcellerie, et un garde infaillible les jour de bataille. Un bouquet, recueilli de la même manière, était placé dans le berceau des bébés afin d’empêcher les Fées qui les changeaient contre des enfants elfes[5].

Quand les racines du chêne se décomposeront, alors la famille Hay périra également, comme le prédit la vieille prophétie de Thomas le Poète :
When the mistletoe bats on Errol’s aik,
And that aik stands best,
The Hays shall flourish, and their good
grey hawk
Shall not flinch before the blast.
But when the root of the aik decays
And the mistletoe dwines on its withered breast
The grass shall grow on Errol’s hearthstone,
And the corbie roup (croak) in the falcon’s nest.7

Quand le gui bar sur le chêne d’Errol
Et que le chêne se tient au mieux,
Les Hay prospéreront, et leur bon faucon gris
Ne flanchera pas dans la rafale
Mais lorsque la racine du chêne se décomposera
Et que le gui s’affaiblira sur sa poitrine flétrie
L’herbe poussera dans l’âtre d’Errol
Et les corbeaux croasseront dans le nid du faucon[6].

[1]Pendant la guerre civile anglaise en 1651, ils étaient aussi appelés les Parlementaires, sous les ordres d’Oliver Cromwell et s’opposaient à la toute puissance royale de droit divin de Charles Stuart II.
[2]« The Folk-lore of Herefordshire d’Ella-Mary Leather en 1912
[3]Poignard écossais
[4]Equivalent écossais du loup-garou mais qui pouvait prendre de nombreuses autres formes d’animux.
[5]Forest Folk-lore, Mythology and Romance d’Alexander Porteous en 1978
[6]Idem

Spiral triskelion (formed from mathematical Archimedean spirals), occasionally used as a Christian Trinitarian symbol

Folklore

La folkloriste Ruth L. Tongue raconte un conte populaire du Somerset où un chêne aide une fille à s’échapper d’un roi cruel en lui envoyant une branche s’écraser sur sa tête. Les hommes du roi viennent abattre l’arbre, mais cela ne leur porte pas chance :

Oh they rode in the wood, where the oaken tree stood
To cut down the tree, the oaken tree
Then the tree gave a groan and summoned his own,
For the trees closed about and they never got out
Of the wood, the wonderful wood.

Oh ils allèrent dans la forêt, là où se trouvait le chêne.
Pour abattre l’arbre, le chêne.
L’arbre poussa alors un grognement et appela les siens,
Pour que les arbres les enferment et qu’ils ne sortent jamais
De la forêt, de la merveilleuse forêt[1].

Dans un autre conte de la même source, la Renarde et les Hommes du Chênes, les esprits du chêne cachent une renarde poursuivie par les chasseurs et leurs chiens, car ils « protègent tous les animaux des bois ». Quand les poursuivants sont partis, « l’Homme du Chêne » invite la renarde : « Essuis tes pattes  endolories dans le bassin de réserve de pluie de notre chêne », ce qui permet à ses coussinets déchirés de cicatriser et à sa fourrure de repousser.

Dans la mort, là aussi, il est possible de ressentir la puissante présence du chêne telle celle d’un être vivant. John Aubrey écrivait au 17e siècle : « Quand un chêne tombe, avant sa chgute il émet une sorte de grognements que l’on peut entendre à des milles à la ronde, comme si le génie du chêne se lamentait. Le chevalier E. Wyld, l’a entendu pluisuers fois[2]. »

Un chêne célèbre, porteur de gui dans le Derbyshire avait encore la réputation d’être semi-humain au 19e siècle. Si ses branches étaient endommagées, il hurlait et saignait, et il prophétisait des malheurs. Aubrey parle aussi d’un chêne dont le gui avait été coupé et vendu à des apothicaires londoniens ; ils connurent tous ensuite de terribles malheurs :

L’un fit faillite peu de temps après ; très vite tous les autres perdirent un œil , et celui qui voulut abattre l’arbre, bien qu’averti des malheurs cités, s’aventura malgré tout à le faire ; peu après, il se cassa une jambe. Comme si les Hamadryades avaient résolu de se venger pour la blessure faite à leur vénérable chêne sacré.

La puissance de vengeance du chêne était célèbre, particulièrement dans le Somerset où, jusqu’il y a peu, on considérait cet arbre avec beaucoup de respect car on le savait doté d’une puissance formidable. La colère des chênes qui avaient été abattus était bien connue, aussi les gens évitaient soigneusement de s’approcher des taillis où restaient les souches d’arbres tombés. Ruth Tongue écrit qu’en 1945 son chauffeur refusa de passer par un bosquet qui avait été rasé pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une histoire locale raconte aussi, au sujet de la famille Carming qui est tombée en disgrâce car ses membres n’ont pas tenus compte de la puissance du Chêne. Que Carmer et son fils aîné étaient si avides qu’ils coupèrent tous les chênes d’un bosquet voisin, bien qu’ils aient beaucoup de bois chez eux. l’histoire continue :

« Les arbres ne dirent rien – ce qui était mauvais. S’ils parlaient un peu, vous auriez un avertissement, mais s’ils font le mort, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va vraiment pas. Et il en fut ainsi. Il est à craindre que le grand chêne fit tomber une branche sans crier gare sur le fermier et son fils aîné. Les tuant tous les deux sur le coup, mais quand le plus jeune vint pour secourir les morts, le bruissement de l’arbre était assourdissant. »

Le plus jeune fils fut épargné parce qu’il avait toujours été respectueux envers les arbres, qu’il avait toujours demandé au « grand chêne près de la porte » s’il pouvait passer quand il entrait dans le forêt. Après avoir hérité de la ferme, « les arbres ne les ont jamais plus poursuivis, enfermés ni fait tomber de branches sur eux[3]. »

Aujourd’hui, les manifestants se battent désespérément pour sauver ces vénérables Anciens des bulldozers et autres armes de la guerre contre la Terre Vivante. J’ai le fantasme qu’un jour, juste comme le second livre des Chroniques de Narnia de C.S. Lewis, le « Prince Caspian », les arbres se lèvent d’eux-mêmes et se mettent en marche comme une tempête d’été pour mettre fin à ceux qui veulent remplacer leur beauté et leur grandeur par du béton et du goudron. Dans ce cas, le Chêne sera sans aucun doute le formidable général conduisant cet assaut.

[1]Forgotten Folk-tales of the English Counties de Ruth L. Tongue e 1970
[2]Cité dans Grignon, ibid.
[3]The Folk-lore Society de Ruth L. Tongue en 1965

 

Traduction Okada