Remontant aux sources

Le chemin que nous avons parcouru est si long
que toutes les anciennes histoires se chuchotent de nouveau
Robert Duncan

 

Il existe en Irlande une vallĂ©e sacrĂ©e qui est dĂ©diĂ©e Ă  la DĂ©esse Boand. Les pentes amples et douces des collines qui bordent la vallĂ©e viennent rejoindre les mĂ©andres de la riviĂšre Boyne, qui coule sur quelque cent trente kilomĂštres Ă  travers la campagne irlandaise verdoyante, avant de jeter ses riches eaux brunes dans la mer d’Irlande, juste au nord de Dublin. Si vous y alliez de nos jours, vous y dĂ©couvririez encore les temples construits il y a plus de cinq mille ans par une culture pĂ©nĂ©trĂ©e du respect de la terre et du ciel, que nous commençons Ă  peine Ă  redĂ©couvrir. Vous trouveriez, au cƓur de la vallĂ©e, un tumulus massif datant de l’ñge de Bronze appelĂ© le Brugh na Boinne – Newgrange – ventre distendu de la DĂ©esse-MĂšre fĂ©condĂ©e, ceint de blocs de quartz blanc qui resplendissent au soleil.

 

Bloc de pierre Ă  l’entrĂ©e de Newgrange 

Debout devant de ce temple de la Terre, vous vous trouverez face Ă  une pierre ancienne de plus de trois mĂštres de long et plus d’un mĂštre de haut, recouverte de tourbillonnantes spirales gravĂ©es sur sa surface. Suivant les courbes avec vos doigts, vous retraceriez la spirale de la naissance, de la mort, et de la renaissance, que les bĂątisseurs de temples ont gravĂ©s afin d’initier leur peuple aux mystĂšres de la rĂ©incarnation, du voyage vers l’Autre-Monde que nous faisons tous en mourant, ainsi que du voyage de retour vers une nouvelle vie comme enfant nouveau-nĂ©.

Passant derriĂšre cette pierre, vous trouveriez un passage menant au cƓur du temple. DĂ©ambulant entre d’énormes blocs de granit, humides et couverts de lichens, vous pĂ©nĂštreriez dans la pĂ©nombre, et Ă  mesure que vous avanceriez dans la nuit et les profondeurs silencieuses de cet utĂ©rus, vous remonteriez le temps, oubliant qui vous ĂȘtes, laissant de cĂŽtĂ© vos dĂ©sirs et vos prĂ©occupations.

Atteignant la chambre funĂ©raire, il se peut que vous vous rouliez en boule Ă  mĂȘme le sol, subissant le pouvoir du granit et du quartz tout autour de vous, Ă©coutant le bruit de votre respiration que vous renvoie l’encorbellement du toit. Votre mĂ©moire se brouille. Comment ĂȘtes-vous arrivĂ© ici ? OĂč ĂȘtes-vous ? Vous vous laissez aller au pouvoir d’un lieu qui, depuis cinq mille ans, prĂ©side Ă  la sagesse de cette terre sacrĂ©e.

Et puis, ça arrive. C’est comme si vous pouviez sentir la terre se retourner, comme une amante se prĂ©pare Ă  recevoir son bien-aimĂ©, et un rayon de lumiĂšre pĂ©nĂštre les tĂ©nĂšbres de la chambre, emplissant votre conscience d’une lumiĂšre solaire Ă©clatante, qui vous pousse Ă  vous prĂ©cipiter dans le passage – vers l’extĂ©rieur, vers la lumiĂšre d’une aube nouvelle, hurlant “Je suis en vie ! Je suis de nouveau en vie !”

Ce serait difficile, mais pas impossible, de faire cela pour de vrai. Il vous faudrait patienter de longues annĂ©es, et puis prier pour que le ciel, Ă  l’aube, soit clair. Seule une fois par an le soleil pĂ©nĂštre Ă  travers un Ă©troit couloir pratiquĂ© Ă  cet effet, jusqu’à la chambre intĂ©rieure de Newgrange – à l’aurore du jour du Solstice d’hiver. Et il y a une liste d’attente de dix ans pour les visiteurs qui veulent passer la nuit dans la chambre, Ă  l’attente du rayon matinal.

Cependant vous n’ĂȘtes pas obligĂ© d’attendre une dĂ©cennie pour partir en quĂȘte d’une renaissance spirituelle : les poĂštes et les Ă©crivains de jadis ont su saisir la beautĂ© et le pouvoir transformateur de cette spiritualitĂ© ancienne, de sorte qu’aussi loin que nous soyons de leurs terres source, nous pouvons, encore, respirer leur magie et encore apprendre les histoires anciennes qui nous enseignent comment trouver la sagesse alors que le monde devient fou dans sa course effrĂ©nĂ©e vers le progrĂšs.

Druide dans un bois sacré

Francis Grose 1773–87

Traduction Jody Mohammadioun