Un Dieu Sensible

Mon Dieu Ă©tait trĂšs sensĂ©. Mais, bien sĂ»r, j’étais vraiment trop jeune pour comprendre.

Mon Dieu Ă©tait trĂšs sensĂ©. Mais, bien sĂ»r, j’Ă©tais vraiment trop jeune pour comprendre. Quand j’Ă©tais petit garçon, je le voyais souvent, sentais son parfum, entendais sa voix, goĂ»tais ses mots dans ma propre bouche et tendais la main pour enrouler ma petite main autour d’un seul de ses doigts. Chacun de mes cinq sens me reliait Ă  lui.

J’ai fait l’erreur d’en parler Ă  des adultes. Ils ont Ă©bouriffĂ© ma tignasse dĂ©jĂ  indisciplinĂ©e et ont souri avec indulgence Ă  ma naĂŻvetĂ© – c’est-Ă -dire tout le monde sauf mon arriĂšre-grand-mĂšre qui avait rĂ©ussi Ă  survivre jusqu’Ă  un Ăąge avancĂ© sans jamais perdre sa capacitĂ© mystique et mon grand-pĂšre qui Ă©tait un Druide Ă  vie.

Une deuxiĂšme erreur, encore plus grande, fut commise en mon nom ; J’ai Ă©tĂ© envoyĂ© Ă  l’Ă©cole, d’abord chez les religieuses et plus tard chez les FrĂšres chrĂ©tiens. Ils m’ont dit que Dieu n’Ă©tait pas sensible (i.e. : visible -Ndt) mais plutĂŽt qu’il Ă©tait sensĂ©, car il suivait le bon sens (Dans le texte original, le mot anglais « sensible » est mis ici pour les deux significations -Ndt). Et je les croyais, parce qu’ils portaient les insignes de Dieu : habits et voiles et cols romains ; et les adultes importants de ma vie s’en Ă©taient tous remis Ă  eux.

Pendant les 13 annĂ©es suivantes, j’ai Ă©tĂ© mĂ©ticuleusement versĂ© dans ce Dieu trĂšs sensĂ©, cette divinitĂ© terre-Ă -terre et de bon sens, qui portait des chaussures marron sensĂ©es et avait crĂ©Ă© des gens pour qu’ils soient des marcheurs sensĂ©s. Bien sĂ»r, il avait produit l’Ă©trange mystique, mais ils Ă©taient tous bien morts. Pour le reste d’entre nous, le conseil Ă©tait de garder la tĂȘte basse et de mesurer nos vies en cuillerĂ©es Ă  thĂ© ; des vies ennuyeuses, remplies de douleur et d’anxiĂ©tĂ© qui Ă©taient mieux gĂ©rĂ©es par le bon sens, les contes de vieilles femmes et les exemples de l’Ancien Testament. Car Dieu Ă©tait un Dieu de bon sens, mĂȘme lorsqu’il envoyait des bĂ©bĂ©s non baptisĂ©s dans les limbes ou envoyait des pĂ©cheurs dans des flammes Ă©ternelles pour avoir manquĂ© la messe le dimanche ou mangĂ© des saucisses le vendredi. Cela aussi avait du sens.

À 18 ans, je suis entrĂ© au sĂ©minaire, et maintenant Dieu est devenu encore plus sensĂ©. Dans des dĂ©tails exquis, la thĂ©ologie dogmatique, la thĂ©ologie sacramentelle et la thĂ©ologie morale ont construit un cadre logique totalement cohĂ©rent, soutenu par des rĂ©fĂ©rences scripturaires qui rendaient fou d’ĂȘtre agnostique et encore moins athĂ©e. C’est jusqu’Ă  ce que je commence Ă  l’universitĂ© et que je me spĂ©cialise en physique mathĂ©matique et en mathĂ©matiques pures. Maintenant, j’ai Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© au « Dieu des lacunes ». Il Ă©tait lentement devancĂ© par la science et recevait des portefeuilles de moins en moins importants jusqu’Ă  ce que la science elle-mĂȘme ait suffisamment de main-d’Ɠuvre et de preuves pour lui donner une poignĂ©e de main en or (la prĂ©sentation Ă©tant faite par Nietzsche) et le retirer dans une maison de retraite.

La religion a rĂ©agi soit en dĂ©fendant vigoureusement le Dieu de bon sens des Écritures, soit en surfant habilement sur les vagues scientifiques, refaisant Dieu pour survivre Ă  la rĂ©volution copernicienne, Ă  l’Ă©volution darwinienne, Ă  la thĂ©orie de la relativitĂ© et Ă  la mĂ©canique quantique. Les thĂ©ologiens les plus crĂ©atifs ont mĂȘme rĂ©ussi Ă  trouver des rĂ©fĂ©rences scripturaires qui prĂ©disaient toutes ces dĂ©couvertes. Ces penseurs religieux ont affirmĂ© que Dieu est toujours vraiment sensĂ© et ont prĂ©dit que de vrais scientifiques finiraient par voir la lumiĂšre.

J’ai atterri au Kenya Ă  26 ans dans une rĂ©gion reculĂ©e sans tĂ©lĂ©phone, sans lumiĂšre Ă©lectrique ni compagnie. J’ai donc fait ce qu’il fallait de raisonnable, j’ai commencĂ© Ă  m’intĂ©resser Ă  des idĂ©es mystiques, Ă  de nouvelles cosmologies radicales et Ă  penser par moi-mĂȘme. Nous avons tous des expĂ©riences mystiques, mais nous les considĂ©rons gĂ©nĂ©ralement comme sans substance, comme les rĂȘves de la nuit. J’ai donc commencĂ© Ă  enregistrer et Ă  travailler avec les rĂȘves de la nuit et aussi avec les visions du jour. J’ai eu une rĂ©vĂ©lation quand j’ai lu qu’en hĂ©breu « vision » et « rĂȘve » sont synonymes. Ainsi, lorsque le prophĂšte JoĂ«l a dit : « Dans les jours Ă  venir, je rĂ©pandrai mon Esprit sur toute l’humanitĂ© ; vos jeunes hommes verront des visions et vos vieillards rĂȘveront des rĂȘves », il n’Ă©tait pas discriminatoire envers les personnes ĂągĂ©es ; car les rĂȘves sont des visions que vous avez pendant que vous dormez, et les visions sont des rĂȘves que vous avez pendant que vous ĂȘtes Ă©veillĂ©.

Dieu Ă©tait redevenu trĂšs sensible ; mais maintenant il donnait un sens parce que ses expĂ©riences Ă©taient rendues possibles par la transcendance des cinq sens, du bon sens, de la thĂ©ologie et de la science ; et, Ă  la place, en utilisant l’Ăąme.

Et puis, aujourd’hui, le 18 dĂ©cembre 2007, quelque chose d’autre s’est passĂ©. Il pleut abondamment depuis trois jours et la forĂȘt est spectaculaire pendant la saison des pluies ; et en plus, ma chienne Kayla a besoin de marcher. Alors nous sommes partis, moi en tenue de pluie et elle en tenue de maison. Et nous nous sommes heurtĂ©s Ă  Dieu – encore et encore et encore.

PremiĂšrement, je l’ai goĂ»tĂ©. Des gouttelettes d’eau en forme de perles pendaient Ă  chaque brindille. Chaque feuille de chaque arbre Ă©tait un calice de la vie Divine. Alors j’ai tirĂ© la langue sous une large feuille et j’ai reçu la communion avec rĂ©vĂ©rence ; le sang de Dieu d’un ministre du culte appelĂ© Madrona. Ce fut un moment aussi extatique que ma premiĂšre communion Ă  l’Ăąge de sept ans.

Puis je L’ai vu, assis Ă  califourchon sur un cheval fĂ©erique qui portait des vĂȘtements verts et trĂšs fins de fougĂšres autour de ses boulets. Les longues mĂšches fluides de Dieu Ă©taient faites de lichen vert clair, et chaque brin Ă©tait un treillis de dentelle pour attraper les rĂȘves et attirer les visions. Le coursier Ă©tait plantĂ© sur le flanc de la colline avec ses membres puissants absorbant l’Ă©nergie de la terre pendant qu’il se reposait pendant son voyage. Nous nous sommes vus et chacun de nous a chuchotĂ© « NamastĂ© ».

Alors que je continuais Ă  marcher, j’ai rĂ©alisĂ© que chaque fois que j’enfonçais mon solide bĂąton dans le sol, je touchais un point d’acupuncture sur la peau de Gaia, et elle a rĂ©pondu en envoyant des frissons d’Ă©nergie terrestre dans ma colonne vertĂ©brale.

Puis je L’ai senti, fugitivement. Je venais de traverser un point d’Ă©nergie, alors je me suis arrĂȘtĂ© et j’ai reculĂ©, j’ai tournĂ© la tĂȘte d’un cĂŽtĂ© Ă  l’autre et j’ai reniflĂ© comme Kayla me l’avait appris. C’Ă©tait encore lĂ  ! Je restai absolument immobile et reniflai Ă  nouveau. Je l’avais ! Une Ă©tagĂšre entiĂšre des Annales Akashiques est tombĂ©e dans mon cerveau, libĂ©rant une myriade de souvenirs de nombreuses vies sur cette planĂšte. Elles ont dansĂ© comme des enfants nouvellement rĂ©unis avec des parents perdus depuis longtemps.

C’Ă©tait le soir avant que je ne rentre Ă  la maison. Tout Ă©tait encore dans la forĂȘt. J’ai Ă©coutĂ© plus silencieusement que jamais et puis je l’ai entendu, le son du coucher du soleil. Il rĂ©sonnait dans chaque cellule de mon corps, la lumiĂšre vibrant avec la lumiĂšre. Au bout de quelques instants, tout redevint parfaitement silencieux ; puis un nouveau chant a retenti ; c’Ă©tait la lente symphonie sensuelle du lever de la lune, une demi-lune dissimulant taquinement le cĂŽtĂ© gauche de son visage. Ce chant aura durĂ© toute la nuit. Et les Ă©toiles rĂ©pondirent avec un poĂšme qui leur est propre ; un poĂšme conçu par le gĂ©nie d’un Yeats, dans la langue d’un Rilke et prononcĂ© dans les tons mystiques d’un Rumi.

Enfin, je suis montĂ© au sommet de mon sanctuaire, l’endroit que j’appelle « CnochĂĄn Dara na Naomh » ou « La Butte du ChĂȘne des Avatars ». Un ancien ChĂȘne Ă  feuilles de Houx y repose, une guirlande sur le chakra de la couronne de cet espace sacrĂ©. C’est toujours le point culminant de mon pĂšlerinage quotidien. J’ai posĂ© ma main droite sur l’Ă©corce battue par les intempĂ©ries et Ă  travers ma paume maintenant sensibilisĂ©e, je pouvais sentir battre le cƓur du gland qui l’avait engendrĂ© ; le lent et puissant boum-boum-boum de l’arbre-Druide.

Alors aujourd’hui, j’ai bouclĂ© la boucle. Aujourd’hui, comme je l’avais fait dans mon enfance, j’ai senti Dieu, j’ai senti Dieu, j’ai entendu Dieu, j’ai vu Dieu et j’ai goĂ»tĂ© Dieu. AprĂšs 61 ans dans cette incarnation, je peux dire une fois de plus : « Mon Dieu est un Dieu trĂšs sensible !

Sean O’Laoire, Tir n’an Og, Californie, 18 dĂ©cembre 2007

VOIR LE SITE DE SEAN : http://spiritsinspacesuits.com/

 

Ce texte joue sur une homonymie anglaise du mot anglais « sensible » qui veut dire en français Ă  la fois « sensible/visible », mais aussi « sensĂ©/douĂ© de raison » – NDT

 

Traduction Sterdan