L’Aubépine

«  Cent ans j’ai dormi sous une (aub)épine, Jusqu’à ce que l’arbre soit la racine et les branches de ma pensée, Jusqu’à ce que les blancs pétales fleurissent dans ma couronne. » Kathleen Raine, The Traveller (le Voyageur)

Une célébration du printemps

L’aubépine, qu’on appelait autrefois simplement « Mai », est tout naturellement l’arbre le plus souvent associé à ce mois dans de nombreuses régions des Îles Britanniques. Quand, dans les textes médiévaux, nous lisons que les chevaliers et les dames sortaient « cueillir le mois de Mai » le premier matin du-dit mois , cela fait davantage référence aux rameaux d’aubépine en fleurs qu’ils vont chercher pour décorer les salles plutôt qu’au mois lui-même. Car, selon l’ancien calendrier encore en usage jusqu’au 18e siècle, le premier jour de Mai, les bois et les haies étaient illuminés par ces fleurs d’un blanc éclatant.

De nombreuses autres coutumes similaires existaient pour accueillir l’été dans les campagnes jusqu’à assez récemment. Dans certains villages, les « mayers[1] » déposaient une branche d’aubépine à chaque maison, tout en chantant des chants traditionnels sur le chemin. Voici ce que le poète anglais Robert Herrick, qui vécut au dix-septième siècle, écrivait :

[1]Que l’on peut traduire littéralement par « faiseurs de Mai » ou « cueilleurs de Mai ».

There’s not a budding boy or girl this day,
But is got up and gone to bring in May;
A deal of youth ere this is come
Back, with whitethorn laden home.
Il n’est pas un jeune garçon ou une jeune fille
Qui ne se soit levé pour aller cueillir Mai ce jour là ;
Nombreux sont ceux qui avant eux qui en ont fait autant
Et en sont revenus les bras chargés d’épines blanches

Les jeunes filles se levaient à l’aube pour pouvoir se baigner dans la rosée récoltée sur les fleurs d’aubépine afin d’assurer leur beauté pour l’année à venir, comme l’atteste cet ancien poème :

The fair maid who, the first of May,
Goes to the fields at break of day
And washes in dew from the hawthorn tree,
Will ever after handsome be.
La belle jeune fille qui, le premier jour de Mai,
Va dans les champs au lever du jour
Pour se laver dans la rosée des fleurs d’aubépine

Sera belle pour toujours

Car, le mois de Mai, c’était la période pour faire la cour et l’amour après le froid de l’hiver ; on trouve souvent ainsi l’aubépine liée avec l’acte d’amour. Dans la Grèce ancienne, on utilisait son bois pour en faire une torche de mariage ; les jeunes filles présentes y portaient des couronnes d’aubépine. Un écrivain a même été jusqu’à suggérer que « le parfum doux et capiteux dont le triméthylamine contenu dans les fleurs est responsable, provoque le désir sexuel. » (Geoffrey Grigson : The Englishman’s Flora, Phoenix House, 1956 – Les plantes pour l’homme en Angleterre)

L’arbre sacré des Fées

L’Aubépine se tient souvent au seuil de l’Autre Monde. Dans la ballade de Thomas le Poète, le-dit poète des Scots est emmené par la Reine du Pays des Elfes alors qu’il était assis à côté d’une vieille aubépine appelée l’arbre Eildon. Dans un autre vieux poème, la Ballade de Sir Cawline, une femme défie le héros d’aller à Eldrigge Hill où pousse une aubépine, pour aller y attendre le Roi des Fées.

Le récit d’une promenade féerique datant du 19e siècle en Écosse illustre à quel point cette tradition était encore répandue, longtemps après la rédaction de ces ballades : une vieille femme, assise avec un voisin sous une aubépine un soir, entendit clairement un rire et vit les fées grâce à la lumière surnaturelle qu’elles émettaient. Voici ce qu’elle raconta :

« Un rayon de lumière dansait autour d’eux, plus lumineux que le clair de lune : c’étaient des petites personnes qui portaient des écharpes vertes ; mais l’une d’entre elles était plus grande que les autres, avec ses beaux et longs cheveux retenus par une lanière qui brillait comme des étoiles… Marion et moi étions dans le champ d’une grande clairière où ils sont venus vers nous ; une haute haie d’aubépines les empêchait de traverser les blés de Johnnie Corrie, mais ils tournaient autour comme des moineaux, puis ils se sont précipité dans les bois qui sont derrière. »

Les aubépines ont également toujours été très respectées en Irlande, où on croit que ce sont les arbres des fées. On s’y réfère souvent sous le nom de « gentils buissons », car on a coutume de ne pas nommer les fées directement afin de ne pas leur manquer de respect. On disait des aubépines poussant en solitaire qu’elles étaient les « arbres où on peut voir les fées » ; c’est souvent le cas sur les tumulus et les reliefs, ou encore à un carrefour ; on dit que c’est un lieu privilégié pour y installer un autel païen.

On trouve souvent des aubépines à côté des puits sacrés, car ils symbolisent eux aussi un seuil traditionnel vers l’Autre Monde ; les pèlerins les décorent de rubans, de morceaux de tissus et autres offrandes. Une aubépine sacrée a poussé au-dessus de la Pierre de St Patrick sur une île de la rivière Shannon et son creux se remplit de rosée ; celle-ci a de très grands pouvoirs de guérison. Le Puits de Ste Bridget à Cork collecte également la rosée d’une ancienne épine des fées qui la surplombe. Je peux  moi-même attester des pouvoirs de la vieille épine du puits de St Madron en Cornouailles, sur laquelle mon futur mari et moi avions accroché deux rubans provenant d’un ancien bandana : nous avons tous deux fait, en silence, un vœux qui devint réalité quand j’ai accepté sa demande en mariage quelques semaines plus tard !

Spiral triskelion (formed from mathematical Archimedean spirals), occasionally used as a Christian Trinitarian symbol

Un symbole de malchance

Bien que l’aubépine fut considéré comme un arbre favorable au mois de Mai, à d’autres moments de l’année, on croyait plutôt qu’il portait malchance. On disait que les sorcières faisaient leurs balais de son bois et, dans certaines régions, il était assimilé au sureau abhorré, comme le confirme ce poème :

Fleur d’aubépine et de sureau
Portent à la maison tous les fléaux.

De graves conséquences attendaient traditionnellement ceux qui étaient assez téméraires pour déranger une épine des fées, comme de nombreux contes locaux le racontent. La maladie, la mort ou des pertes financières pouvaient suivre la cueillette d’une feuille ou l’arrachage d’une brindille et l’arbre pouvait également saigner ou même hurler. Il était également fortement déconseillé d’étendre son linge sur une aubépine, car cela pouvait recouvrir les vêtements des fées qui y étaient déjà mis à sécher.

Au début de ce siècle, une entreprise de bâtiment a ordonné l’abattage d’une épine des fées sur un site de construction à Downpatrick en Ulster. Le contremaître a du le faire lui-même car tous ses ouvriers ont refusé. Quand il a déterré les racines, des centaines de souris blanches – supposées être les fées elles-mêmes – sont sorties du trou ; puis, à un moment où le contremaître transportait de la terre dans une brouette, un cheval s’est enfui d’un enclos à proximité et l’a écrasé contre un mur, ce qui lui a coûté une jambe.

De même en 1982, des ouvriers de l’usine automobile de De Lorean en Irlande du Nord ont déclaré que si l’entreprise rencontrait autant de difficultés c’était parce qu’un arbuste d’épine des fées avait été arraché pendant la construction de l’usine. La direction prit cet argument tellement au sérieux qu’elle a fait planter un buisson similaire avec la cérémonie nécessaire !

Aujourd’hui encore, il ne viendrait pas à l’idée à de nombreuses personnes de faire entrer de ces branches à la maison car, comme l’arbre est associé à Beltaine, un temps où les deux mondes se rencontrent, ils considèrent qu’il est consacré aux fées, ce qui lui vaut d’être craint au moins, respecté au mieux.

Mythologie classique

Il est possible que la croyance en les pouvoirs de l’aubépine pour protéger des tempêtes soit en relation avec celle du monde classique selon laquelle elle serait née de la foudre. L’épine la plus sacrée est à Glastonbury, au Sud-Ouest de l’Angleterre, où elle pousse parmi les ruines de l’abbaye médiévale. Selon la légende, Joseph d’Arimathie l’a rapportée de la Terre Sainte quand il a ramené le Graal en Angleterre ; elle fleurit à chaque Noël pour célébrer la naissance du Christ. Il est probable, cependant, que les moines de Glastonbury aient voulu imposer des références chrétiennes à l’arbre dans une tentative de mettre une fin à l’association de l’aubépine avec la sexualité païenne des festivals de printemps. Il est certain que l’épine ait éveillé la colère des Puritains qui l’ont abattue deux fois – la première fois sous le règne d’Elizabeth 1re, et ensuite sous Cromwell. Un scion de cet arbre pousse toujours aux environ de Wirral Hall qui est sans doute un ancien site païen.

Notoriété chez les chrétiens

La Chrétienté a aussi joué son rôle dans la continuité de la vénération de l’aubépine. Pour les Chrétiens, la couronne d’épines qu’a reçu le Christ lors de sa crucifixion était de l’aubépine, ce qui a maintenu les associations magiques de l’arbre dans leur légende. Au Moyen-Âge, Sir John Mandeville écrivait :

Puis vient notre Seigneur que l’on enferma dans un jardin… Les Juifs l’y méprisèrent et lui firent une Couronne avec des branches d’aubépine, l’épine blanche, qui poussait dans ce même jardin et la lui mirent sur la tête. C’est ainsi que l’aubépine acquit de nombreuses vertus. Car comme il a porté une de ses branches, aucune tempête ni aucun orage ne peut plus lui faire de mal ; de même aucun esprit malin ne peut l’atteindre.

Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait eu tant de confusion au sujet de l’aubépine par la suite ! Alors que certains croient que les sorcières chevauchent un balai dont le manche est en bois d’aubépine, d’autres placent des rameaux de cet arbre sur les portes des chaumières et des étables pour s’en préserver. Dans certains endroits, « s’asseoir sous une aubépine » signifie rencontrer les habitants de l’Autre Monde ; alors que dans d’autres, l’arbre est une protection contre eux (« Glissez-vous sous l’épine, elle vous préservera de tout mal ») ! Si vous avez la chance de pouvoir vous allonger sous un buisson d’aubépine la veille de Beltaine et en inspirer le parfum musqué de ces fleurs blanches à cinq pétales, gardées par leur sombres épines pointues, vous pourriez bien découvrir le sens de ce poème par vous-même.

Au sujet d’une aubépine

Oh ! Viens me voir, le doux et chaud mois de Mai
Fait porter à tous mes rameaux leur joyeuse broderie,
En ce jour de transition vers ma saison lumineuse,
Tandis que mon jeune parfum charge l’air d’amour.
Oh, viens me voir, quand le ciel est bleu,
Et qu’il fait ressortir mes paillettes sur fond azur.
Quand les épaisses lianes de lierre s’entrecroisent
Et voient leurs sombres touffes couronnées d’argent.
Le printemps est alors dans toute sa splendeur,
Le lilas fleurit, la cytise s’embrase,
La Nature a élevé au-delà de cette clairière d’aubépine
Le plus bel autel qui soit en l’honneur de son Créateur.

George W.F. Howard
Earl of Carlisle 1802-1864

 

Traduction Okada