La Vie, la Mort et le scarabée nécrophore
Par Maria Ede-Weaving
Il existe un moment d’existence qui se situe entre le lâcher prise et l’émergence de quelque chose de nouveau. C’est un espace magique et mystérieux. Nous expérimentons tous cela à de nombreuses reprises dans nos vies, que ce soit au travers des morts psychologiques qui apportent des changements significatifs à notre être et à notre situation, ou par le défi douloureux du deuil ou de la séparation. C’est un lieu d’incertitude intense où le chemin à venir peut sembler infranchissable et nos efforts pour avancer inefficaces, mais c’est aussi le terreau de tous nos commencements. Le changement, empreint de lutte, nous impacte profondément. La fragilité de nos identités, rôles et relations obsolètes est mise en lumière. Comme si notre forme émergente ne pouvait plus supporter la douleur de la contrainte, nos mondes semblent se fracturer sous la pression ; les structures familières qui soutiennent ce que nous croyons être se défont. Aussi douloureux que puisse être ce processus, c’est à ce stade de crise que réside le potentiel de notre plus grande transformation. Nous expérimentons la nymphose.
Toutes les créatures de la métamorphose me fascinent, que ce soient celles qui se transforment elles-mêmes – les papillons et les libellules étant mes préférées – ou celles qui permettent la transformation en d’autres êtres, comme les merveilleux vers de mes bacs à compost. Chacune d’entre elles nous enseigne quelque chose sur la nature et le but du changement dans nos propres vies. Elles ont été pour moi une grande source de réconfort et d’inspiration, surtout aux moments où ma confiance en ce processus a vacillé.
Le scarabée nécrophore est une créature remarquable qui exprime si puissamment une part du mystère et du sens du changement irrésistible. Ma première et unique rencontre avec l’un d’entre eux a eu lieu dans les semaines précédant la mort de ma sœur. Je me promenais dans les bois près de la maison de mon père et j’avais décidé de prendre un chemin inhabituel pour le retour. J’ai trouvé une musaraigne, posée au milieu du chemin de sorte que je ne pouvais pas l’éviter. Elle était couchée sur le côté mais bougeait encore. Craignant qu’elle ne soit blessée, je me suis agenouillée. Il m’est vite apparu que la musaraigne était en réalité morte. De sous son corps, sortait un tout petit scarabée noir avec deux bandes orange vif sur le dos, des antennes velues orange à leur extrémité, alertes et frémissantes sur sa tête. Il s’est enfoui de nouveau sous le petit cadavre et, avec une force étonnante, a commencé à le déplacer à nouveau, aussi impressionnant qu’un humain soulevant un éléphant. Fascinée, mais pas tout à fait sûre de ce que je voyais, j’ai observé le scarabée réapparaître, pour disparaître à nouveau sous la musaraigne, le corps sans vie se balançant doucement et tremblant sous l’insistance du scarabée qui s’affairait.
Plus tard, j’ai réalisé que j’avais été témoin de la création d’un nid d’amour par un mâle scarabée nécrophore. Leur nom leur convient parfaitement car ils sont les fossoyeurs de la nature. Lorsqu’il découvre le cadavre d’un petit mammifère ou d’un oiseau, le mâle scarabée examine le sol environnant pour voir s’il convient à l’enterrement. Sinon, il se couche sur le dos sous le corps, ses pattes poussant la charge, jusqu’à ce qu’il trouve un endroit propice pour déposer. Ensuite, il attend une partenaire. Les antennes de la femelle détectent la chair en décomposition ce qui l’attire irrésistiblement. Une fois qu’elle a fait son choix, le couple entame le long processus d’enterrement, creusant un tunnel sous le corps et le faisant finalement descendre dans sa chambre funéraire située dans le sol. Ils creusent avec leurs antennes en forme de bêche, tandis que leurs puissantes mandibules tranchent les racines gênantes. Dans ce processus, la carcasse est dépouillée et façonnée en une boule soigneusement formée avec une surface dure et sèche. Au cours de cette parade amoureuse ardue et macabre, pendant même l’acte d’ensevelissement du cadavre, les scarabées nécrophores s’accouplent.
La femelle est chargée de pondre ses œufs dans le sol autour de la chambre funéraire, nourrissant initialement les larves jusqu’à ce qu’elles se frayent un chemin dans la carcasse en décomposition pour se nourrir de la charogne. Les larves, tout en transformant la chair pourrie en une nouvelle vie, subissent elles-mêmes une série de transformations, passant par trois stades complètement différents jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à creuser dans le sol environnant, quittant leur lugubre nursery pour se nymphoser dans de petites chambres. Elles émergent du sol en tant que scarabées adultes, des créatures littéralement ressuscitées de la tombe.
Le Divin nous parle de tant de façons curieuses, articulant sa sagesse à travers toutes les innombrables formes de vie qui nous entourent, apportant des moments de synchronicité qui nous conduisent à une prise de conscience, à une compréhension plus profonde. Mon chemin a croisé celui du scarabée nécrophore juste au moment où ma sœur entamait lentement les dernières étapes de sa propre vie, s’approchant douloureusement mais sûrement de cet endroit incertain. Le scarabée nécrophore, dans son effort héroïque pour perpétuer sa propre espèce, m’a parlé du pouvoir extraordinaire de la nature de faire naître la vie à partir de la mort, le lien entre la matrice et la tombe aussi littéral que je puisse l’imaginer. La pensée de ces jeunes scarabées émergeant du sol tels des pousses de printemps, apparaissant à la lumière du soleil après de nombreuses transformations dans l’obscurité, m’a profondément ému. Une si petite créature – en apparence insignifiante et obscure – m’a révélé quelque chose de l’espoir au cœur de la lutte, renforçant ma capacité à lâcher prise et à faire confiance, m’ouvrant à la possibilité d’un renouveau qui viendrait finalement pour ma sœur et pour ceux d’entre nous qu’elle laissait derrière elle.
La mort et la renaissance partagent le même terrain, leurs territoires se mêlent et se fécondent mutuellement, et pourtant on nous a appris à les considérer comme des continents séparés, perpétuellement en guerre. La leçon du scarabée nécrophore est poignante et puissante pour nous tous. Elle nous rappelle que la douleur prend fin et que la tristesse s’en va; que la mort sert la vie et que le lieu où l’un touche et se mêle à l’autre engendre de nouveaux mondes et de nouveaux êtres; de nouvelles relations et de nouvelles façons d’être. Nous pouvons nous retrouver altérés par la pression d’une vie qui ne nous convient plus; si nous pouvons apprendre à faire confiance au processus de la mort – qu’il soit psychologique ou réel – nous pourrions réaliser non seulement la compassion dans la mort, mais aussi son don de nous remodeler authentiquement. Nous devenons comme ces scarabées nouvellement transformés, nourris et préparés pour une nouvelle vie par les forces de la décomposition et de la libération, le sol s’ouvrant devant nous, l’obscurité nous mettant au monde.
Traduction Sylvaine Vidal