Un conte de Samhain/Samhuinn

par Cerri Lee

Un conte de Samhain 

Un conte de Samhain (Samhuinn) par Cerri Lee ( cerrilee.com )

La pierre tombale brillante et gris foncĂ© Ă©tait lĂ , un peu triste, couverte des feuilles humides qui avaient Ă©tĂ© soufflĂ©es Ă  travers le grand hĂȘtre de l’autre cĂŽtĂ© du chemin. C’Ă©tait nouveau dans le cimetiĂšre et pas encore complĂštement installĂ© Ă  sa place Ă  la tĂȘte de la nouvelle tombe. Tout autour, il y avait de nombreuses parcelles de terrain dans divers Ă©tats de rĂ©paration, mais cette parcelle Ă©tait fraĂźche ; le sol ne faisait que se remettre en place aprĂšs que le cercueil y ait Ă©tĂ© placĂ©. La pierre tombale s’Ă©tait enfoncĂ©e dans la terre en dessous et essayait d’Ă©tablir un lien avec sa charge, mais elle dormait profondĂ©ment et n’Ă©tait pas trĂšs communicative. La petite pierre avait son nom, sa date de naissance et de dĂ©cĂšs et une lĂ©gende gravĂ©e sur son visage, alors elle  essaya de la comprendre Ă  partir des mots que la famille avait confiĂ©s Ă  la pierre. Elle Ă©tait aimĂ©e, c’Ă©tait Ă©vident par leurs paroles ; Une Ă©pouse, une mĂšre et une grand-mĂšre « emportĂ©e avant son temps », elle n’avait donc pas vĂ©cu si longtemps, du moins Ă  l’heure actuelle, mais cela semblait une vie heureuse. C’Ă©tait bien, une tĂąche heureuse pour la petite pierre grise, marquant la place de quelqu’un qui avait aimĂ© et Ă©tĂ© aimĂ©.

Le vent souffla une autre poignĂ©e de feuilles mouillĂ©es qui claquĂšrent contre la face de la pierre. Certaines glissĂšrent pour rejoindre le dĂ©sordre dĂ©trempĂ© dĂ©jĂ  accumulĂ© Ă  sa base tandis que d’autres se pressaient Ă  plat contre la face de la pierre, comme un homme craignant de tomber d’une haute corniche. C’Ă©tait la fin de l’automne maintenant et ce serait bientĂŽt l’hiver. La petite pierre avait vu tant d’hivers Ă  flanc de montagne, regardant passer les saisons, les Ă©ons et les Ă©poques. La pĂ©riode glaciaire Ă©tait venue et avait laissĂ© des cicatrices gravĂ©es Ă  travers les montagnes, changeant la terre. Les animaux Ă©taient venus et repartis avec les conditions mĂ©tĂ©orologiques variables, fragiles et changeantes comme les feuilles des arbres Ă  chaque saison bourgeonnant, Ă©clatant, vivant et mourant, tous soufflĂ©s par les vents du temps. Faisant partie de la grande masse continentale, elle contenait tant de souvenirs, mais surtout elle se souvenait de se sentir comme faisant partie d’un tout, faisant partie des montagnes, les os mĂȘmes de la terre. Être un petit morceau de pierre dans un cimetiĂšre nĂ©cessiterait quelques ajustements.

Le nouvel environnement Ă©tait plein de minuscules Ă©clats de montagnes anciennes dĂ©coupĂ©es en diverses formes. Il y avait le grand et imposant ange qui se tenait derriĂšre avec un bras levĂ© vers le ciel, l’autre tendu vers la tombe en dessous d’elle. Sa peau de pierre pĂąle avait l’air douce aprĂšs des annĂ©es d’exposition aux intempĂ©ries et Ă©tait couverte de plaques de lichens jaunes et blancs. Ses yeux, doux et bienfaisants, fixaient le lopin de terre miteux sous son socle ; elle semblait rĂ©signĂ©e Ă  sa veillĂ©e. De chaque cĂŽtĂ© de la tombe fraĂźche, il y en avait deux autres Ă©tablis, leurs pierres plus grandes et avec plus de noms gravĂ©s dessus. Elles aussi Ă©taient plus douces sur leurs bords, mais leurs visages brillaient toujours. Des familles entiĂšres gisaient sous le repos final, ensemble dans la mort comme elles l’avaient Ă©tĂ© dans la vie. Plus loin Ă  travers le sol sacrĂ© se trouvaient des pierres plus anciennes remontant Ă  travers les siĂšcles. Certains visages s’Ă©taient estompĂ©s au point oĂč les noms n’Ă©taient plus qu’une vague impression. Personne ne venait plus enlever leurs feuilles mortes ou dĂ©poser de nouvelles fleurs, les familles Ă©taient pour la plupart elles-mĂȘmes profondĂ©ment enfoncĂ©es dans le sol, mais les pierres tenaient toujours la veillĂ©e. C’Ă©tait leur tĂąche aprĂšs tout, proclamer la mĂ©moire, continuer Ă  prononcer silencieusement le nom du titulaire, attirer l’attention sur tous ceux qui passeraient devant, car ce n’est que lorsque le nom est perdu qu’ils sont vraiment morts. Et, de temps en temps, un descendant d’un endroit lointain faisait un pĂšlerinage au cimetiĂšre. AprĂšs avoir retracĂ© leurs racines, ils erraient dans le cimetiĂšre pour trouver la sentinelle de leurs familles ; aprĂšs l’avoir trouvĂ©e, ils tendaient la main pour tracer les mots gravĂ©s dessus. Peu importe la grandeur ou la modestie de la pierre, ils Ă©taient liĂ©s Ă  une partie plus vieille de leur histoire ancienne, comprenant davantage qui ils Ă©taient et d’oĂč ils venaient.

Des pas rĂ©sonnĂšrent le long du chemin goudronnĂ©, puis s’aventurĂšrent avec prĂ©caution sur l’herbe mouillĂ©e pour se tenir Ă  cĂŽtĂ© de la nouvelle tombe. Le vieil homme se pencha et Ă©pousseta les feuilles dĂ©trempĂ©es de la pierre tombale et plaça quelques fleurs fraĂźches dans le pot Ă  cĂŽtĂ©. Il parla doucement Ă  la forme endormie sous la terre humide, tapota la petite pierre, puis alla s’asseoir un moment sur le banc sous le hĂȘtre et lut son journal.

Sous la pierre, l’Ăąme endormie s’agita puis, comme un fantĂŽme de la femme qu’elle Ă©tait, se leva et se fraya un chemin Ă  travers le sol et les feuilles. Elle se dĂ©plaça silencieusement dans la brise vers l’endroit oĂč l’homme silencieux Ă©tait assis sur le banc et le regarda lire son journal. Elle toucha son visage et il leva les yeux et sourit distraitement, puis eut l’air perplexe, son regard la traversa directement.

Au bout d’un moment, le bruit de jeunes enfants s’Ă©leva dans le vent. Le couple regarda en bas du chemin pour voir un jeune couple avec deux jeunes enfants se diriger vers eux. Le fantĂŽme regarda alors qu’ils se saluaient avec des embrassades et des baisers, les enfants sautant bruyamment rĂ©clamant l’attention de leur grand-pĂšre et agitant les images qu’ils avaient dessinĂ©es, une pour lui et celle pour leur grand-mĂšre. Il prit les photos et les Ă©valua avec un soin exagĂ©rĂ©, les fĂ©licitant pour leur excellent travail. Puis les enfants regardĂšrent leur mĂšre qui hocha la tĂȘte et ils se dirigĂšrent tous vers la tombe et le fantĂŽme les suivit. Ils se tenaient tous la main prĂšs de la tombe ; le jeune homme se pencha, posant une main sur la terre au-dessus de la forme endormie de sa mĂšre et parla du mĂȘme ton doux et aimant que son pĂšre. Elle se pencha et chuchota des mots qui furent emportĂ©s par la brise. Il souleva le pot de pierre pour les fleurs et regarda les visages calmes et tristes des enfants. Ils se penchĂšrent et placĂšrent la photo de leur grand-mĂšre sous le pot et dirent Ă  leur grand-mĂšre qu’elle leur manquait. Ils lui racontĂšrent leurs nouvelles de la semaine, Ă  quel point l’Ă©cole Ă©tait ennuyeuse et Ă  quel point «maman, papa et grand-pĂšre Ă©taient un peu tristes, mais lui dirent de ne pas  s’inquiĂ©ter pas car ils s’occuperaient d’eux et ils reviendraient la semaine prochaine et lui diraient ce qu’ils avaient fait et lui apporteraient une autre photo.

Puis le garçon attrapa une poignĂ©e de feuilles mouillĂ©es pour les jeter sur sa sƓur qui cria et s’enfuit, riant bruyamment alors qu’elle traversait l’herbe pour Ă©viter le prochain assaut feuillu. Les adultes rirent, mais aprĂšs quelques instants, ils ne rĂ©sistĂšrent pas Ă  l’envie de verser les larmes alors que les enfants couraient autour du cimetiĂšre en hurlant de rire et en jouant. Ils Ă©taient tous d’accord sur le fait que maman aurait aimĂ© les voir grandir ; Maman accepta.  La pluie recommença sĂ©rieusement, alors les adultes appelĂšrent les enfants pour qu’ils viennent dire au revoir Ă  grand-mĂšre car il Ă©tait temps de partir. Ils grommelĂšrent mais retournĂšrent consciencieusement vers leurs parents, dirent au revoir Ă  grand-mĂšre et embrassĂšrent la petite pierre. La femme s’assit sur la petite pierre et ensemble elles regardĂšrent la famille retourner le long du chemin. Le fantĂŽme regarda la petite image sous le pot alors que la pluie tombait dessus et soupira, il Ă©tait temps de se rendormir. Au bout d’un moment, la petite pierre grise atteignit le sol en dessous et sentit le contentement de la femme endormie et s’installa un peu plus profondĂ©ment Ă  sa place.

Cerri Lee . Voir le site Web de Cerri.

 

Traduction Sterdan